La conception d’un corset original sur mesure est un processus long et délicat.
De manière générale il y a au moins une heure d’entretien et de recherche pour l’élaboration d’un modèle. Sera-t-il d’un style historique ? moderne ? en plusieurs couches ? avec des ouvertures ou des finitions particulières ?
Une fois que le design est établi, nous passons à l’étape des mesures. Cela prend du temps, en effet, il n'en nécessite pas moins de 11 pour un simple corset. Il en faudra davantage s’il s’agit d’un corset servant de base à une robe.
Après cela, il faut dessiner le premier patron d’essai, ou mock-up pour les anglophones.
Le traçage du patron découlant du design choisi et de la prise des mesures peux prendre jusqu’à 2 heures pour les modèles les plus complexes.
Il faut ensuite transcrire ce patron sur un papier de soie qui permettra de le reporter sur une toile d’essai.
Hop, on épingle, on reporte les marges de couture, on coupe, on assemble les coutures le plus précisément possible. On repasse, on coud les couloirs à baleine, on coupe les baleines, on les polit ou on les protèges pour qu’elles glissent bien, on ajoute les buscs, les œillets et enfin on passe le ruban pour fermer notre premier corset… d’essayage.
Et oui, ce corset sera sûrement détruit et repris pour améliorer le patron. Il est essayé et les modifications sont inscrites dessus, on découpe, on épingle, on ajoute du tissu selon la forme que l’on souhaite obtenir.
Ce premier essai et ses modifications sont reportés sur le patron de départ. Tous les traits sont lissés au propre et on recommence.
Une nouvelle fois, on créé une toile, encore, on découpe, on épingle, on coud on repasse, quand on peut on réutilise les baleines précédentes, le busc et les œillets.
Deuxième essayage enfin, et à nouveau on marque, on épingle toutes les modifications à faire pour que le corset soit le plus parfait possible !
Le nombre d’essayage varie grandement selon la complexité du design et les formes du modèle. Et oui ! une poitrine généreuse selon comment elle se tient n’aura pas le même besoin de soutien d’une personne à l’autre.
Peut-être aussi que la personne supporte bien la contrainte, et qu’elle souhaite encore plus resserrer la ligne de taille. Cette modification induit encore plus de courbes, de nouvelles lignes et une reprise de toutes les pièces du patron.
En général il faut au minimum 3 essayages avant d’obtenir le patron final. Dans certaines maisons de haute couture, cela peut même aller jusqu’à 12 essais pour obtenir la pièce parfaite.
Bref, vous l’aurez compris, à ce stade nous n’avons toujours pas commencé la pièce finale et nous avons pourtant fabriqué déjà 3 corsets complets.
Toutes ces étapes préliminaires demandent du temps et surtout du matériel souvent non pris en compte par la clientèle. Non par mauvaise volonté, mais surtout par manque d’informations.
Il faut savoir qu’en plus, le matériel de corseterie est considéré comme du matériel très spécialisé donc délicat à trouver et souvent cher. (surtout lorsque l’un des fournisseurs principaux est situé outre-manche, merci le Brexit).
En effet, une baleine de type métal spiralée coûte 2€ le mètre, pour un corset en 14 panneaux il en faut minimum 6 mètres.
Un busc coûte 10 à 30 € (oui oui), si c’est un busc à trou pour pouvoir faire des attaches particulières type agrafes travaillées, loquets etc, il faut les rajouter à la facture (en général 3 à 4 € l’unité et il en faut au moins 6).
Pour la toile, sont utilisé en moyenne 50 cm de tissu par corset, la toile coûtant entre 5 et 10 € le mètre.
Pour la fabrication d’un corset en monocouche il faut environ 5 heures de travail minimum pour chaque essayage.
Bref, pour notre article, partons du principe que nous avons fait 3 toiles d'essai pour le fameux corset 14 panneaux en fermeture simple :
- Busc : 20 €
- Baleines : 12 €
- Œillets : 10 €
- Toile : 10,5 €
- Ruban : 6 mètres x 0,7 € => 4,2€
- Fil+ matériel de base + usure : 20 €
- Electricité + loyer + internet (location domaine et maintenance) : 35 €
- Temps de travail : 16 h
En partant du principe d’un salaire de 20 € de l’heure considéré comme étant le minimum possible pour un artisan créateur (nous allons en parler dans quelques lignes) nous avons un prix de conception sans la création aux alentours de 430 €
Mais attention, nous oublions quelque chose de très important ! Nous sommes dans un pays où il nous est demandé de contribuer à l’impôt de façon assez importante lorsque nous sommes auto-entrepreneur : 25% du chiffre d’affaires, ce n’est pas rien hélas.
Le prix de revient de l'élaboration de la création est donc de 602 € pour le moment.
Discutons maintenant de façon rapide et simplifié du salaire d’un artisan.
Un artisan est souvent seul dans son atelier et gère à la fois la conception, la réalisation, la promotion, la mise en valeur et la vente de sa création.
Son métier est pluriel, d’initialement créateur dans un domaine spécifique (ici la corseterie) il devient commercial, photographe, metteur en scène, gestionnaire du site web et de la communication sur les réseaux sociaux, animateur d’événements, bref de multiples tâches.
Les heures que passe un artisan à faire autre chose que la création ne sont pas comptabilisées dans la vente en soit. Et oui, le client paye pour la fabrication de son article, mais pas les heures qu’a passé l’artisan à communiquer, à se faire connaître pour atteindre le dit client. Donc pour 5 heures passées à l’atelier, il y en a au moins 5 autres passées au développement de son entreprise, à la recherche du matériel, à l’élaboration de contenu, etc.
Vous l’avez compris, d’un minimum de 20 € par heure, au final nous n’en touchons que 10 par heure alors que notre domaine exige une multiplicité de compétences habituellement valorisées et recherchés dans d’autres milieux. (pensez qu’un community manager touche en moyenne 450 € par jour en net, soit environ 55 € par heure)
C’est pour ces multiples raisons que la plupart des artisans sont plutôt à 50 € par heure une fois bien établi, sans compter l’expérience qui doit être rétribuée. Et oui, ce que fait un apprenti n’est pas équivalent à ce que fait un maître et cela se retrouve sur le produit fini.
Revenons à notre corset, car, pour le moment, ce n’est qu’un prototype.
Nous allons le faire en 2 couches, l’extérieur, le tissu décoratif, et l’intérieur en tissu un peu plus technique pour garantir la solidité et une bonne structure de la pièce :
- Extérieur : 6 à 30 euros le mètre selon le choix du client
- Intérieur : toile de coton le plus souvent 10 à 40 euros le mètre selon le choix du client.
Soit un ajout de (10 + 15) x 0,5 = 11,5 €
S’ajoute un nouveau ruban et de nouveaux œillets qui souvent ont été abimés par les processus précédents ainsi que les frais d’usure fil et matériel : 34,2 €
Les décors et les finitions, partons sur une finition simple à l’aide d’un biais 10 €.
La fabrication du corset final prend minimum 5 heures à nouveau, et peut aller jusqu’à plus d’une vingtaine d’heures selon les finitions, décors, broderies etc.
Donc la fabrication brute du corset finale revient à 156 € environ, rajoutons-y nos fameuses taxes 218 €
Ainsi, la fabrication d’un corset sur-mesure, unique et qualitatif coûte 218 + 602 = 820 € lorsque l’artisan ne se dévalue pas.
Sachez tout de même que sans les fameuses taxes, le corset vous reviendrai à 615 €, mais ceci est un autre débat.
J’espère que cet article vous aura aidé en tant que client, mais aussi artisans, à comprendre ce qui se cache derrière le prix d’une création.
J’admets qu’il est difficile de savoir s’y retrouver entre les prix défiant toute concurrence de la Fast Fashion (certain n’hésite pas à voler les images de créateurs pour vendre la pâle copie de leurs pièces à moindre coût ) et aussi le prix du matériel de base, souvent sous-estimé car comment un jersey ou une toile peuvent coûter 20 € du mètre lorsque l’on vend des t-shirt à 3 euros ?
Aussi, les personnes du milieu créatif ont souvent tendance à se dévaluer et largement sous-estimer leur prix de vente car il y a comme une espèce de culture honteuse autour du fait de gagner de l’argent et de vouloir en gagner dans le milieu des arts et de l’artisanat.
Souvent également, notamment dans le sur-mesure ou la création personnelle, il y a une forme d’attachement et d’empathie envers le client. Cela augmente d’autant plus la difficulté pour le créateur de demander ce qui lui est dû.
Bref, tous ces liens entre la psychologie, la société, les exigences et les contraintes autour d’un prix font qu’il est souvent difficile de s’y retrouver. Tant pour le client que pour le créateur.
N’hésitez pas à me contacter si vous souhaitez en savoir plus ou tout simplement en discuter !